La résilience est-elle une forme de performance ?
Cet article a été publié sur le blog defi-ecologique. Plusieurs liens renvoient vers des articles passionnants de ce site
Nous sommes entourés d’outils de plus en plus efficaces et la pression sociale nous exhorte à être nous-mêmes toujours plus performants.
Avant même de se poser la question de savoir où nous mène cette course à la performance, interrogeons-nous un moment sur sa définition : qu’est ce qui se cache au juste derrière cette notion apparemment très rationnelle de performance ?
En avons-nous tous la même définition et compréhension ?
Et si la recherche de la performance n’était pas notre meilleure garantie d’adaptation dans un monde en évolution très rapide ?
De nombreuses initiatives dites « de transition » mettent de plus en plus en avant la notion de résilience. Qu’est-ce donc au juste ? S’agit-il d’une nouvelle forme d’efficacité ? Peut-on être efficace et résilient ?
Ce que vous allez apprendre
- À réinterroger la notion de performance et quelques termes associés
- En quoi les indicateurs que nous utilisons reflètent notre pensée et conditionnent notre action
- Que la capacité d’adaptation du vivant n’est pas qu’une question de performance
- La notion de résilience et la recherche d’un équilibre entre elle et l’efficacité
Peter Drucker
Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose qui ne doit pas du tout être fait.
Tentons une définition de la performance
La performance dans son acception la plus rationnelle fait référence à une ou plusieurs valeurs chiffrées, témoins du fonctionnement d’un processus.
Ces valeurs, appelées « indicateurs », permettent de suivre l’évolution du phénomène, de comparer des systèmes, de définir et de contrôler l’atteinte d’objectifs : vitesse, hauteur, nombre de visiteurs, chiffre d’affaire, etc.
Ces valeurs sont elles-mêmes obtenues par des éléments de calcul scientifique ou statistique plus ou moins complexes : efficacité énergétique, rendements, compétitivité, audimat, etc.
Cette notion de performance semble aller de soi, et pourtant, noyés sous cette avalanche de chiffres, sommes-nous en capacité de comprendre ce qu’ils représentent réellement ?
Imaginons que je cuisine une soupe à partir de légumes de mon jardin et qu’au moment de la phase finale de préparation, je décide de mouliner le tout. Posons-nous la question : quelle est la méthode la plus performante ? La fourchette, le moulin à légume manuel ou le mixeur ?
Cette question en apparence stupide a au moins une vertu, elle met le doigt sur le terme « performance » et pose la question de l’adéquation entre l’indicateur et l’objectif recherché.
Si je souhaite une texture avec écrasé grossier, la fourchette me permet de conserver des morceaux entiers. Si je désire économiser l’énergie, le moulin à légumes est tout indiqué. Si je recherche le gain de temps, un coup de mixeur sera le plus efficace !
Performance vs efficacité vs efficience
La notion de performance est un terme générique. Elle peut s’appliquer à une quantité absolue (production en tonnes), à un rapport entre deux grandeurs (vitesse en kilomètres par heure) ou à des indicateurs plus sophistiqués (taux de marge brute).
Le terme « efficacité » traduit la capacité d’atteindre avec succès un objectif assigné.
Un insecticide 100% efficace tue tous les insectes, une machine à laver efficace restitue un linge parfaitement propre, un employé efficace réussit parfaitement la mission qui lui a été confiée.
L’efficience, enfin, définit le rapport entre les résultats obtenus et les ressources.
En matière d’énergie par exemple, l’efficience énergétique désigne une quantité d’énergie par unité de service rendu.
Pour rendre une machine à laver efficiente, on cherchera à minimiser la quantité d’énergie et d’eau utilisée pour laver (efficacement) un kilo de linge. Une machine utilisant (à qualité de lavage égale pour la même quantité de linge) 800 watt-heure d’énergie au lieu de 1 000 sera énergétiquement plus efficiente.
En résumé, pour parler de la même chose, la performance doit s’apprécier par un ou plusieurs indicateurs, calculés à partir de grandeurs objectives, mesurables.
Les unités de mesure, les conditions et la méthodologie d’évaluation et de calcul doivent être parfaitement définis.
Les indicateurs de performance servent essentiellement à comparer des systèmes entre eux ou des résultats par rapport à des objectifs.
La performance, un ami faussement rationnel
Même lorsqu’ils s’appliquent à des systèmes avec des définitions précises, les indicateurs de performance donnent lieu à de nombreux biais d’évaluation et d’interprétation :
- Définition, contexte ou unités de mesure utilisées mal comprises.
- Confusion entre valeur statistique ou moyenne et cas particulier.
- Extrapolation d’une valeur en dehors du contexte de l’expérience ou de la mesure.
- Confiance aveugle dans une valeur chiffrée tenue comme vérité sans vérification.
- Problématiques de traduction et de contexte culturel d’usage.
- Perception d’une réalité complexe par un indicateur unique ou inapproprié.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un indicateur de performance fait référence à un critère précis.
Comprendre la définition, la raison d’être, le mode de mesure et de calcul d’un indicateur est primordial. L’interprétation doit nécessairement être prudente car un indicateur unique ne suffit pas à traduire toute la réalité des situations.
Mais le risque est plus important lorsqu’on extrapole la performance à des individus ou des groupes humains.
Les critères d’évaluation restent nimbés de l’apparence scientifique des valeurs chiffrées dans un domaine où le comportement individuel ou collectif revêt un caractère largement irrationnel.
Nous utilisons au quotidien beaucoup d’indicateurs de performance entachés de subjectivité : que pensez-vous de la cote de popularité issue d’un sondage, du niveau de confort d’un logement, de la performance de vos placements bancaires, du prix du kilomètre de transport en train, en voiture ou en avion ?
Marie Anaut
On peut dire que par le traumatisme le sujet entre en résilience.
Plus performant, c’est mieux !
Un tracteur plus puissant, un smartphone avec plus de fonctions, un rendement plus élevé : aucun doute, c’est mieux !
La perception que nous avons de la performance des systèmes et des organisations, les indicateurs qui nous sont proposés pour l’évaluer sont très intimement liés à une vision du monde de ressources naturelles abondantes, de croissance infinie, de démographie et de système monétaire exponentiel.
Les faits qui démontrent que ce n’est pas tenable se multiplient. La prise de conscience progresse mais la plupart des indicateurs de performance que nous utilisons n’ont pas changé.
Ils prennent un caractère dogmatique et nous amènent à persister dans l’erreur au lieu de nous aider à vérifier notre progression vers le bon objectif.
Ainsi, alors que les effets du dérèglement climatique, l’érosion de la biodiversité, l’accumulation des déchets et polluants, le dysfonctionnement majeur du système financier (j’en passe et des meilleurs) sont avérés, pourquoi entendons-nous toujours parler du cours de la bourse pour définir la bonne santé de l’économie et du PIB pour traduire la performance économique d’une nation ?
Une usine de production de pesticides qui pollue le milieu naturel, des usines sophistiquées de production d’eau potable et une industrie pharmaceutique pour « soigner » les humains intoxiqués en bout de chaine produisent beaucoup plus de PIB qu’une stratégie de prévention et de sobriété.
Malgré de timides avancées pour inviter des indicateurs extra-financiers dans l’évaluation de la performance de nos sociétés, nous restons fortement conditionnés par des chiffres imprégnés d’une logique qui ramène tout à l’argent.
Les valeurs du vivant s’évaluent inexorablement avec cette unité étalon de la monnaie, où tout est donc substituable et intégrable à la logique du marché (les emplois, les gènes, les semences, les organes, les projets de recherche, les actes médicaux, les données personnelles, etc.).
Un indicateur n’est jamais neutre. Au-delà du fait que le critère qu’il mesure est souvent mal compris ou interprété, il reflète notre mode de pensée et surtout conditionne puissamment notre façon d’agir.
La nature est-elle performante ?
Je plante une graine dans le sol, j’en récolte selon les plantes des dizaines, des centaines, des milliers. Un taux de croissance inégalable qui devrait faire rêver les spéculateurs les plus ambitieux !
Mais dans le milieu naturel, la plante sauvage sème ses graines à tous vents de façon fort peu efficace. Combien de graines vont réellement germer ? Combien de fleurs condamnées par un coup de gel au mauvais moment ? Rendement minable !
Alors, la vie est-elle performante ou pas ?
En tous cas, elle était présente sur la planète bien avant l’homme surperformant et risque de lui survivre sous d’autres formes.
La capacité d’adaptation de la vie aux évolutions de son milieu est au moins autant due aux interactions biologiques coopératives que compétitives. Elle est résiliente.
Définition de la résilience
La résilience désigne la capacité pour un organisme, une organisation ou un système quelconque à retrouver ses propriétés initiales après une altération.
En écologie, la résilience est la capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un individu à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation.
En gestion d’entreprise, la résilience organisationnelle est la capacité d’une organisation à s’adapter après la survenue d’un incident.
Cette définition provient de l’article Wikipedia « Résilience », sous licence Creative Commons Attribution-Share-Alike License 3.0.
Résilience et performance
Dans ce monde d’incertitude et d’instabilité croissantes, plutôt que la recherche infinie de performance qui exacerbe la compétition, il est donc urgent de réaffirmer l’importance du principe de coopération, gage de résilience.
Si bien sûr, nous estimons que l’homme fait partie de l’écosystème global !
Les mouvements de transition qui se multiplient dans le monde proposent des solutions concrètes pour construire un monde plus soutenable, plus équitable, plus solidaire, plus collaboratif.
Les objectifs de performance ne doivent pas nécessairement disparaître mais être sérieusement revisités et surtout être rééquilibrés par des objectifs de résilience.
Un monde plus résilient n’élimine pas et ne nie pas l’existence du principe de compétition mais recherche la diversité, la coopération, autres principes de vie qui donnent plus de chance d’adaptation aux changements brutaux. Et ceux-ci sont déjà en action.
Le principe de résilience impose de ne plus confondre prospérité et croissance, de ne plus évaluer richesse et valeur à la seule aune de la valeur monétaire.
La résilience n’exclut pas la référence à des indicateurs, mais ceux-ci doivent rendre compte de nouveaux objectifs et finalités. Par exemple, mesurer le progrès vers plus de biodiversité, plus de variétés de légumes et fruits, plus de moyens de transports, plus de monnaies locales, plus de participants dans la prise de décision, une meilleure répartition et utilisation des ressources amenées à se raréfier.
Pour conclure
Notre profonde appartenance au vivant nous donne une perception sensible de l’écosystème auquel nous appartenons.
Être en transition, c’est cette volonté de transformer, de solliciter notre créativité pour relever positivement les défis qui nous attendent.
C’est utiliser notre performance intellectuelle pour la diriger vers le rééquilibrage de notre mode de vie et vers plus de résilience.